Pour les briser il y a deux méthodes ; l’une d’elles consiste à déclencher une révolution constructive, c’est celle à laquelle mon livre prétend nous préparer. L’autre consisterait à engager un combat de destruction. Un tel combat n’est pas à souhaiter, car la victoire aurait des conséquences épouvantables pour la civilisation, de par la situation matérielle et morale dans laquelle nous serions tous plongés ensuite. Mais ce combat est possible, et, comme la bombe atomique, il peut jouer le rôle de dissuasion que l’on veut prêter à cet engin de destruction. C’est pourquoi il est utile d’en dire quelques mots.
Ce combat consisterait à contester le cours forcé des billets. Si les travailleurs un beau jour exigeaient d’être payés en or, au taux actuel, qui est je crois, de 170 milligrammes d’or par franc 1, ce serait une réclamation tout à fait légitime, puisque c’est une loi qui a fixé ce taux. Ce serait en somme refuser de faire désormais crédit à la Banque de France, ce que l’on ne peut pas en droit leur reprocher. Dans certains cafés on voit quelquefois une affiche : « Ici, crédit est mort. » Une telle décision serait donc la simple manifestation d’un droit bien naturel. Si le gouvernement refusait aux travailleurs l’exercice d’un tel droit, ce ne seraient pas les travailleurs qui se mettraient en état d’insurrection, ce serait le gouvernement. Et si le gouvernement ne s’insurgeait pas, la Banque de France ferait banque-route, car elle ne serait pas en mesure, à beaucoup près, de satisfaire à une telle demande. D’abord parce qu’elle n’a pas assez d’or, ensuite parce que tout cet or devrait être distribué en pièces divisionnaires, c’est-à-dire en napoléons. Bref si une telle contestation prenait corps, ce serait sonner le glas de la société actuelle.
C’est donc une arme à deux tranchants, assimilable au fait de lancer une bombe atomique avec la certitude d’en recevoir une centaine. Disons que ce serait à la rigueur une arme de dissuasion, brandie mais non lancée.
Que le lecteur tenté de considérer la chose comme de l’histoire romancée ou de la science-fiction, veuille bien considérer qu’aujourd’hui les principaux instituts d’émission européens se conduisent exactement de la même façon vis-à-vis du Trésor Américain 2. Ils peuvent lancer une bombe et ils ne le font pas. Ils la brandissent sans la lâcher, car ils sont trop conscients du fait que leur attaque ferait immédiatement boomerang.
Le Trésor Américain exagère selon eux. On ne peut à la fois inonder le Monde de dollars et prétendre honorer tous ces dollars au taux de 35 dollars pour une once d’or fin. Il suffirait de dire « chiche » pour en administrer la preuve.
Mais il est bien difficile de condamner l'exagération sans condamner le principe, et les autres instituts d’émission n’ont pas du tout envie de condamner le principe. Ce serait se saborder eux-mêmes que de mettre en faillite un membre de leur club.
En fait, les Américains n'exagèrent pas au sens strict du mot. Ils sont simplement en avance sur les autres, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres. La vérité est que l’ensemble de l’économie mondiale est en voyage; elle n’est pas satellisée autour du Monde, elle est en train de se perdre dans l’espace, entraînée par la logique fatale de l’impulsion première. À force de se déshumaniser, le capitalisme va disparaître, absorbé dans l’infini de l’absurde. Les experts financiers pourront bien donner des conseils de modération, mais de tels conseils ne sont jamais suivis de bon gré, et dans un cas comme celui-là ce sont des conseils qu’il est impossible de suivre.