[5. Le warrantage]

Il s’agit donc de gager ces billets libellés en piastres, Cela se peut en généralisant le système des warrants.

Selon ce système le propriétaire de certaines marchandises peut obtenir des banques spécialisées dans ce domaine, un prêt en donnant ses marchandises en gage et dont il s’interdit par conséquent de disposer pendant la durée du prêt. En l’immobilisant ainsi matériellement, le propriétaire de la marchandise peut ainsi mobiliser une partie de sa valeur.

En élevant cette méthode au rang de méthode générale de circulation monétaire, l’institut d’émission peut créer du papier-monnaie libellé en piastres, dans des conditions de sécurité analogues à celles du warrantage, c’est-à-dire que chaque billet aura une couverture non seulement totale, mais largement supérieure à 100 %. Chaque piastre aura un gage de plusieurs piastres, s’il est nécessaire, car le volume des marchandises et produits fabriqués susceptibles d’être utilisés comme gages est énorme. Voyons en effet de plus près de quelle manière il est possible de procéder.

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Soit sous forme de matières premières, soit sous forme de produits en cours de transformation, soit sous forme de produits finis, dans des milliers et des milliers d’entrepôts, de dépôts, de magasins, de silos, d’usines, les entreprises privées et les entreprises nationalisées aussi possèdent des richesses sous forme de stocks, c’est-à-dire d’avances. La richesse d’un pays se mesure partiellement bien entendu, à l’importance de ses stocks qui pourraient se chiffrer en jours, en semaines, en mois d’avance de la production sur la consommation et donc en unités de temps.

Ce sont ces richesses disponibles qui peuvent donc devenir un moyen de paiement libellé en piastres si, rendus fictivement mobiles par la création de billets de banque circulant à leur place, ils servent de gage nécessaire aux billets mis en circulation. Il existe d’ailleurs un rapport étroit entre l’importance de pareils stocks et les besoins monétaires d’un pays, de telle sorte que les problèmes d’inflation et de déflation pourraient se résoudre sans cesser de couvrir les billets à plus de 100 % à partir d’éléments réels s et aisément contrôlables. Mais il nous faut suivre point par point l'opération qui permettra d’attribuer de la valeur aux billets que la Banque d’Émission a fait fabriquer et imprimer et qui, tant qu’elle les garde en sa possession ne valent évidemment rien du tout.

Un industriel dispose d’un stock de marchandises qui lui sert de volant de fabrication : il a toujours dans ses magasins ou ses ateliers une quantité de marchandises telle que, à son actif, elle figure pour une somme de 500 000 piastres.

Ce stock permanent, non pas si l’on considère l’identité même de la marchandise, mais sa valeur globale, l’Institut d’Émission l’achète à l’industriel à, supposons, 50 % de sa valeur. L’industriel reçoit donc des billets de banque pour un montant de 250 000 piastres. Ces billets entreront ainsi en circulation par le canal de cette opération; cet industriel s’en servira à sa guise, en particulier pour payer les salaires. C’est en somme pour l’industriel une affaire excellente puisqu’il dispose d’une trésorerie supplémentaire qui ne lui coûte aucun loyer d’argent. Tout se passe comme s’il avait vendu son stock à moitié prix, et cependant sa manière d’agir n’est pas modifiée, tant que le gage demeure inaltéré en valeur dans ses ateliers.

Naturellement la couverture des billets est suffisamment élevée, 200 % dans l’exemple, pour que la vente reste fictive. Il serait plaisant que l’industriel trouve dans une pareille formule l’occasion de vendre effectivement son stock et invite l’Institut d’Émission à prendre livraison de la marchandise. Dans le choix du gage lui-même, et dans le choix du taux de couverture également, l’Institut d’Émission ne perd pas de vue le fait que, pour que cette opération de vente ne puisse en aucun cas se concrétiser, elle doit toujours demeurer fictive.

Si l’industriel vend le gage dans sa clientèle à un prix normal, il doit dans le même temps le racheter à l’Institut à son prix fictif. Si au cours du temps la valeur de la marchandise varie, le stock doit varier en sens contraire de manière qu’en piastres la valeur du gage demeure sans changement. Sinon il y aurait dévaluation de la monnaie, c’est-à-dire que le taux de couverture des billets émis se trouverait modifié à l’insu de l’Institut d’Émission, ce qui enlèverait à cet organisme tout pouvoir sur l'économie.

Si, au contraire, un contrôle efficace s’exerce sur la régularité avec laquelle ces contrats de vente fictive sont remplis et si ceux qui contreviennent à de telles obligations dont sévèrement punis et de plus, par la suite, privés d’utiliser une telle faculté de trésorerie, l’Institut d’Émission possède alors un pouvoir très étendu sur l’économie du pays, car il peut en se basant sur les résultats de sa politique monétaire, la modifier et l’infléchir dans la direction qu’il aura adoptée, en choisissant des gages adéquats, en déterminant l’importance réciproque des uns par rapport aux autres et en adoptant pour chacun d’eux le taux de couverture jugé le plus avantageux pour l’économie générale du pays. Il est en particulier évident qu’en faisant varier le taux de couverture qu’il exige du client, il augmentera ou diminuera le volume des billets émis qui sont en fait, des prêts permanents d’importance variable non productifs d’intérêt.

Cependant, après avoir exposé selon quel contrat-type l’émission d’une monnaie libellée en piastres peut être gagée, il faut bien ajouter que, dans la pratique, l’Institut d’Émission n’aura pas avec chaque possesseur de stocks des relations directes. Ce qui intéresse l’Institut, c’est l’ensemble des stocks susceptibles d’être mobilisés de cette manière dans le pays et l’assurance de non-consommation de ces stocks, l'assurance que ces stocks existent toujours, même s’ils passent de mains en mains.

En fait, si une entreprise vend effectivement une certaine quantité de produits finis à l’un de ses clients et que ce lot a déjà fait auprès de l’Institut d’Émission l’objet d’une vente fictive, elle devra au préalable dénouer la vente fictive en réglant à l’Institut la somme qu’il a reçue d’elle.

Mais si l’acheteur de son côté obtient le bénéfice d’une vente fictive auprès de l’Institut d’Émission pour cette même marchandise, le crédit qui lui sera accordé compensera le débit du fournisseur, de sorte que l’Institut d’Emission ne sera pas concerné par cette transaction dans son rôle d’émetteur ou de récepteur de billets, la marchandise n’ayant pas été consommée par la transaction mais ayant seulement changé de propriétaire.

D’autre part, si une entreprise prélève, toujours dans son stock fictivement bloqué, des matières premières qu’elle transforme, la marchandise disparaît, mais renaît bien vite de ses cendres ; elle reparaît, sous forme de produit manufacturé, qui peut, au fur et à mesure de sa fabrication, être bloqué aux mêmes conditions générales que la matière première dont elle est issue. Entre le début de cette opération et sa bonne fin prend place un délai, mais ce délai est largement compensé par la plus-value que crée l’incorporation des frais de fabrication. Il s’agit de l'incorporation de piastres (ou heures de travail) dans la valeur terminale de la matière.

Bien plus, des matières peuvent disparaître, être réellement consommées en fabrication, comme certains produits chimiques employés dans certaines fabrications industrielles ; cependant leur valeur ne disparaît pas, elle se retrouve en piastres additionnelles dans le produit fini. Il y a eu consommation de telle ou telle forme de valeur, il n’y a pas eu consommation de la valeur elle-même. Pour tout dire il n’y a pas eu disparition de travail (ou de piastres). Bien au contraire, les entreprises de production sont des entreprises où le travail s’incorpore et s’accumule toujours plus dans les choses. Ce n’est que lorsqu’elle est livrée à la consommation que le rôle de couverture de la marchandise doit nécessairement cesser.