[2. Première approximation]

En première analyse, dans quelle proportion le patron d’une part, l’ensemble capital-travail d’autre part, ont-ils concouru à réaliser ce bénéfice de 10 millions de francs?

L’ensemble capital-travail est redevable au patron du fait heureux que ce qui a pu être vendu au prix de 100 millions a pu être produit au prix de 90 millions. Pour bien des raisons, mais en premier lieu parce que l’entreprise existe, grâce à ses fondateurs auxquels les dirigeants actuels succèdent. Une possibilité de gain est devenue un gain réel. Ce qui était faisable a été fait.

Réciproquement le patron est redevable à l’ensemble capital-travail du même fait heureux. La participation au profit est tout aussi effective. Par conséquent, il apparaît équitable de répartir le bénéfice proportionnellement au rôle réciproque des deux parties, ce qui donne :

  • 10 % du bénéfice au patron dont l’apport représente 10 % du chiffre d’affaires, soit 1 million.
  • 90 % à l’ensemble capital-travail dont l’apport représente 90 % du chiffre d’affaires, soit 9 millions.

Ainsi, toujours en première analyse, je le rappelle, le patron (avec ses collaborateurs bien entendu) reçoit 10 % du bénéfice quand le bénéfice s’élève à 10 % du chiffre d’affaires, soit 1 % du chiffre d’affaires. Si le bénéfice était de 5 % sur le chiffre d’affaires, sa part n’aurait été que de 5 % x 5 % du chiffre d’affaires soit 0,25 % sur le chiffre d’affaires; et s’il était de 20 %, un calcul identique porterait sa part à 4 % du chiffre d’affaires.

Quant au bloc capital-travail, dans l’exemple proposé, tout se passe comme s’il avait vendu à 99 millions ce qu’il a produit à 90, et le bénéfice général de 10 % se retrouve dans ses comptes particuliers, soit 10 % sur 90 millions = 9 millions.

Voyons maintenant de quelle manière répartir entre le capital et le travail ces 9 millions de francs qui, pour reprendre l’exemple précédent, représentent la part de bénéfice due au bloc capital-travail. Pour établir cette répartition, il faut d’abord trouver une commune mesure entre les services procurés par le capital et ceux rendus par le travail. Il s’agit de services bien différents bien entendu. Mais la différence essentielle est la suivante : le capital est une chose inerte, privée de vie, d’entretien nul, tandis que ce sont des êtres vivants qui accomplissent le travail. Il s’agit là d’une inégalité foncière et une telle inégalité de base nous donne évidemment la solution du problème de répartition.

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Avant de réaliser un profit, le travailleur doit vivre; vis-à-vis du capital cela constitue un handicap. Il doit donc recevoir au préalable et sans délai une rémunération qui contre-balance ce handicap.

Dans les 90 millions de dépenses que, dans mon exemple, l'entreprise a dû verser, il est évident que j’ai déjà fait apparaître un montant, le montant a). C’est la somme annuelle globale additionnant tous les salaires versés au cours de la période d’activité considérée, y compris les charges sociales perçues par les divers organismes de sécurité sociale, qui sont évidemment des compléments de salaires.

Cette somme globale représente la commune mesure recherchée pour comparer entre eux les heures de travail et les services rendus par l’existence d’un capital social.

Le salaire n’est pas, comme beaucoup le prétendent encore, la part de bénéfice du travailleur. Il s’agit d’une indemnité préalable qui, dans la répartition du profit, joue le rôle d’une tare dans l’un des plateaux d’une balance quand on veut pouvoir distinguer le poids brut du poids net. Si donc on considère les charges de cette façon et si l’on suppose que, dans les 90 millions de francs qui totalisent les dépenses de l’entreprise, le montant a) (les salaires) s’élève à 30 millions de francs, on dispose d’un chiffre qui va servir de base pour le partage du profit entre le capital et le travail.

Ainsi on peut décomposer le chiffre d’affaires en trois parties:

   Salaires versés     30 millions
 + Autres dépenses     60 millions
 = Dépenses globales   90 millions
 + Bénéfice réalisé    10 millions
   ————————————————————————————————
 = Chiffre d’affaires  100 millions

Le bénéfice réalisé étant égal à 10 % du chiffre d’affaires réalisé, la répartition de ce bénéfice s’établit comme suit :

  Patron   10 % soit 1 million
  Capital  60 % soit 6 millions
  Travail  30 % soit 3 millions
  ——————————————————————————————
  Total   100 % soit 10 millions

Ce résultat, je le rappelle, ne constitue qu’une première approximation. En effet, ce tableau est établi en fonction du bénéfice réalisé par l’entreprise, et il va falloir successivement le revoir en fonction du bénéfice réalisé par le capital (actionnaires), par le travail et par le patron. Peu à peu les chiffres de ce résultat brut vont se modifier en tenant compte des observations qui vont suivre, qui font intervenir d’autres éléments d’appréciation issus de l’environnement de l’entreprise et extérieurs à sa comptabilité propre. Cependant, avant d’entamer cette révision, il est intéressant de noter au passage la position du travailleur en regard du décompte de profit ainsi présenté.

Les travailleurs ont touché 3 millions, soit 10 % sur leurs salaires, dont la somme globale s’élève à 30 millions. Le bénéfice de chacun d’eux représentera donc 10 % de son salaire personnel. L’incidence de la masse salariale sur le prix de revient de la production ne les touche pas. Par exemple si cette masse ne représentait que 10 millions, soit 10 % sur le chiffre d’affaires, les salariés ne toucheraient qu’un million de bénéfices. Mais sur une masse salariale de 10 millions, ce million représenterait toujours 10 % d’augmentation sur le salaire de chaque salarié. Ce qui importe donc au salarié, c’est le taux du profit et nullement la proportion capital/travail dans le partage des bénéfices. Par exemple, si les charges supportées par le capital par suite d’un outillage plus perfectionné, passaient de 60 à 80 millions et que par suite d’une productivité accrue, le chiffre d’affaires en conséquence puisse atteindre 140 millions, le résultat serait le suivant :

 Salaires             30 millions (inchangé)
 Autres dépenses      80 millions (+ 20)
 Prix de revient     110 millions (+ 20)
 Bénéfice             30 millions (+ 20)
 ———————————————————————————————————————
 Chiffres d’affaires 140 millions (+ 40)

avec un bénéfice par rapport au chiffre d’affaires de

  30
 ——— = 21,42 %
 140

Dans ce cas, le travailleur recevrait en fin d’exercice une part de bénéfice équivalente à 21,42 % de son salaire annuel, au lieu de 10 % dans le cas précédent.

Cela montre que plus l’outillage est perfectionné plus l’activité humaine est rémunératrice, ce qui est l’évidence même. À condition naturellement que le partage soit équitable, ce qui n’est pas encore le cas.

Fermons cette parenthèse et examinons maintenant la position de l'actionnaire, quand, en se référant à l’exemple initial, la part globale dévolue au capital se chiffre à 6 millions de francs.