Préface

En guise de préface, et afin d’éviter au lecteur d’avoir à rechercher dans un autre ouvrage la fable de La Fontaine qui m’a fourni le titre de ce livre, voici le texte de ce morceau qui s’intitule :

LE LOUP ET LE CHIEN

Un loup n’avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.

L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire loup l’eût fait volontiers
Mais il fallait livrer bataille
Et le mâtin était de taille
À se défendre hardiment.
Le loup donc l’aborde humblement,

Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint qu’il admire :
« Il ne tiendra qu’à vous, beau Sire,
D’être aussi gras que moi, lui répartit le chien,
Quittez les bois; vous ferez bien,
Vos pareils y sont misérables
Cancres, hères et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.

Car quoi? rien d’assuré, point de franche lippée,
Tout à la pointe de l’épée
Suivez-moi; vous aurez un bien meilleur destin. »

Le loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le chien : donner la chasse aux gens
portant bâtons et mendiants,
Flatter ceux du logis, à son maître complaire;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
y Sans parler de mainte caresse. »


Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du chien pelé
« Qu’est-ce là? lui dit-il. - Rien - Quoi rien? - Peu de chose.

- Mais encor? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.

- Attaché? dit le loup: vous ne courez donc pas
Où vous voulez? - Pas toujours, mais qu’importe?

- Il importe si bien, que, de tous vos repas,
Je ne veux en aucune sorte
Et ne voudrais pas même, à ce prix, un trésor. »

Aujourd’hui, le pauvre loup est mort. Mort de faim. Il avait consenti à travailler, et à recevoir un salaire; accepté d’accomplir les besognes serviles qui lui étaient proposées, car souffrir de la faim est horrible, la satiété, la sécurité, quel beau rêve pour un estomac vide.

Mais la liberté est le plus grand de tous les biens, pensait le loup.

Le pauvre loup n’est pas mort en vain, car depuis qu’il s’est enfui, le chien a changé. Son cou pelé le gêne maintenant et lui fait honte. À quel prix lui fait-on payer son bien-être et sa sécurité ! C’est un nouveau chien maintenant qui calcule et qui grogne. L’amitié du loup lui manque et la caresse du Maître lui pèse. La liberté est le plus grand de tous les biens, pense le chien. Et, partagé entre le souci d’assurer sa pitance quotidienne et ce goût nouveau qu’il a acquis pour l'indépendance et la fierté, il rêve d’un grand soir où un monde meilleur lui garantira à la fois la liberté et la vie.