[2. Émulation internationale]

Le monde du travail qui crée les richesses ne possède plus le moyen de savoir de quelle manière ni dans quelle mesure il est payé; au point qu’il ne sait plus quelquefois sur quelles bases il peut étayer ses revendications. Il est comme plongé dans un brouillard artificiel. L’opinion courante, entretenue par les puissants de la politique et de la finance, que seuls des techniciens chevronnés voient clair, prévaut. Tout se présente aujourd’hui comme si un homme du peuple ne possédait pas de diplômes suffisants pour distinguer le bien du mal et la justice de l’injustice, pour avoir conscience de la valeur réelle de son travail. Et qu’il ne lui resterait pour apaiser ses doutes qu’à se laisser engloutir dans un abîme de confiance.

La monnaie-travail, la piastre, avec une valeur fixée par la Constitution est la seule solution monétaire qui garantisse les droits du travailleur au dedans comme au dehors des frontières et, s’il s’en crée une, il en existera vite plusieurs, car le problème du juste salaire est un problème universel. Cette nouvelle monnaie intéressera en outre toutes les nations soucieuses de leur indépendance économique.

Dans une telle hypothèse l’or, qui n’est déjà plus qu’une marchandise, perdra beaucoup de sa valeur. Parce qu’une marchandise possède une valeur qui dépend de son utilité, et que, si l’or perd son utilité de monnaie d’échange, il perdra une grande partie de son intérêt; son cours chutera inévitablement. De la même façon que toutes les marchandises quand survient une concurrence imprévue ; comme les fibres textiles naturelles ont été concurrencées par les fibres artificielles et synthétiques, mais d’une manière encore plus redoutable.

Car émettre des piastres, libeller en piastres des billets de banque, c’est littéralement réaliser une monnaie synthétique, non pas à partir de l’air du temps mais à partir du temps lui-même, d’une consommation de temps, d’un emploi de temps, d’une utilisation positive et mercantile du temps que l’on comptabilise et d’où l’on tire finalement l’unité de compte de toutes les transactions possibles.

Quelle concurrence vis-à-vis de l’or qu’il faut extraire et à quel prix, des entrailles de la terre ! Cet or qui finalement n’aurait même pas, en cas de troubles sociaux, le rôle d’une valeur-refuge, le jour où l’on pourrait se passer de lui sur le plan monétaire.

On voit que le rôle de défense, le rôle de bouclier dévolu à la piastre se double dans ce dernier cas d’un rôle offensif et que cette monnaie est aussi un fer de lance. Cela nous conduit à examiner les rapports idéologiques de la France avec les autres États du globe.

Sur le plan idéologique, la monnaie nouvelle ne joue cependant qu’un rôle d’avant-garde. Ce sont les autres transformations de la société qui dans le combat vont finalement jouer le rôle du corps de bataille. Un combat bien pacifique, je me hâte de le dire, car dans un cas pareil l’exemple constitue la méthode la plus efficace pour rompre le front opposé. L’exemple est contagieux. Quand une solution est trouvée et mise en application, qu’elle répond d’une façon satisfaisante aux problèmes économiques et sociaux qui agitent le Monde, alors cette solution fait école. Quand les travailleurs des nations occidentales pourront comparer leur sort sous un régime capitaliste avec celui dont profiteront les travailleurs-étudiants d’un régime social régénéré, ils ne pourront demeurer insensibles et ils engageront un combat politique dont l’issue sera la victoire. Avec plus d’énergie encore les peuples de l’URSS saisiront leur chance dès que celle-ci sera à leur portée; on sait ici, on sait là-bas que sur les ruines de la dictature totalitaire un régime nouveau peut naître un jour. Enfin les États du Tiers-Monde vont pouvoir organiser leur développement tout en refusant aux entreprises capitalistes de greffer sur leur territoire leurs antennes. L’aide nécessaire des nations industrielles sera plus conditionnelle que jamais.

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Beaucoup de pays sous-développés ne sont pauvres qu’apparemment. De grandes richesses inexploitées dorment qui, si on adopte le principe selon lequel elles appartiennent d’une façon indivisible à la communauté nationale, assureront les ressources fiscales nécessaires au budget des États. Mais l'indépendance d’un pays ne s’acquiert réellement qu’à partir du moment où les besoins vitaux des habitants sont couverts par l’exploitation de leur propre sol. Les cultures vivrières, l'agriculture donc, doivent dans un programme de développement constituer la priorité suprême. C’est le souci du pain quotidien qui, en Europe, a prolétarisé le peuple. C’est un souci que l’on doit s’efforcer de faire disparaître sans l’aide d’autrui, car cette aide est souvent un cheval de Troie dans la ville.

Quand on compare le sort des pays sous-développés à celui des pays industriels il s’agit presque toujours d’une comparaison contemporaine. Je pense qu’il faut savoir retrouver dans les siècles passés d’autres points de comparaison; il suflit de remonter assez loin pour constater qu’à une époque donnée les problèmes des pays maintenant industrialisés concernaient la famine et la disette. Il est instructif de se souvenir du passé et de se dire que l’économie moderne s’est progressivement édifiée à partir de « labourage et pasturage ». Tant mieux si les jeunes nations peuvent parcourir rapidement le chemin que d’autres ont suivi lentement; mais il est recommandable de suivre le même chemin. Dans beaucoup de cas présents la réforme agraire est la clé de voûte du développement économique, du progrès social et de l’indépendance nationale.

Enfin l’idéologie nouvelle a un rôle fort important à jouer sur le plan international; outre l’exemple et les conseils, outre la multiplication et le renforcement constant des relations à l’extérieur, cette idéologie doit être le porte-drapeau d’un principe, un principe d’unité internationale fondé sur l’indivisibilité de la planète et de l’Humanité qui la peuple.

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Comme je l’ai déjà exprimé, la Création ne peut se partager entre une foule de nations propriétaires chacune d’un ou de plusieurs fragments du globe. De tels partages seraient injustes parce que fatalement inexacts. La Terre est insécable et doit se prendre en sa totalité. Il faut donc considérer les États, non pas comme des propriétaires mais comme des gérants, administrant séparément le territoire dont ils ont le contrôle, mais moralement conscients d’appartenir à un concert de nations. Cela suppose des droits et des devoirs, cela transforme la valeur des échanges qui ne doit pas seulement être utilitaire mais aussi morale.

Cette conception unitaire du Monde où la répartition des biens de la nature doit constituer la base matérielle du système ne verra pas de sitôt son organisation se créer; un Conseil d’Administration de Monde n’est pas près de se réunir. Mais ce qui doit se créer sans retard, c’est une mentalité fraternelle qui facilitera la paix du Monde et résoudra du mieux possible les difficiles problèmes de la vie en commun et de la cohabitation. Qu’au moins on sache déjà à qui la mer appartient; comme toutes les terres émergées elle appartient à tous.