La Nature est raciste et son activité dans l’existence des hommes consiste à opérer une sélection telle que les uns viennent au monde pourvus de multiples dons tandis que d’autres au contraire naissent démunis de tout. Aux uns des armes pour régner en maîtres, aux autres le droit de vie diminué des esclaves, la mort précoce enfin pour les êtres disgrâciés par elle.
Dans le système social matérialiste et athée du capitalisme et du communisme, rien n’est fait pour contrecarrer une telle sélection, tout est mis en œuvre au contraire pour la codifier, pour la légaliser, pour organiser enfin ces forces aveugles afin d’en tirer le meilleur parti possible. La sélection naturelle se voit doublée d’une spécialisation scientifique, grâce à laquelle les moins doués se voient dépouillés en faveur de ceux que l’on appelle les « plus dignes ». Égaux en droit dans les proclamations, les hommes se retrouvent en fait savamment différenciés les uns des autres depuis leurs premiers pas jusqu’aux jours de leurs cheveux blancs, non pas des seuls hasards de leur destinée, mais du fait aussi de la planification outrancière que le régime leur a intentionnellement imposée. Loin de nier les avantages que procure la division du travail, je pense avoir le droit de condamner l’exploitation abusive qui en est faite.
Une civilisation digne de ce nom n’est pas, disons-le, soumission aveugle aux forces de la Nature mais un combat contre elle. Et en particulier une lutte inextinguible contre ses décrets en ce qui concerne les relations d’égalité sociale qu’il importe que les hommes entretiennent entre eux. Le rôle des sociétés n’est évidemment pas de venir en aide à la Nature mais de la corriger et de redresser les torts qu’elle a à notre égard. Il s’agit bien entendu d’un combat sans espoir de victoire. On ne vainc pas la nature; le seul but de ce combat est de la contenir, de lui imposer des limites et de nous détourner en outre des guerres fratricides et des luttes sans grandeur.
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Pour réduire les inégalités sociales, on doit s’appuyer sur des situations évidentes et sur des vérités incontestables. D’où la niaiserie (apparente) de mon propos, qui est de considérer que des hommes qui de loin, par leur intelligence, par leurs connaissances ou plus simplement par leurs richesses, surpassent ceux de leur même génération, ont été à un moment crucial de leur vie, c’est-à-dire à leur naissance, des êtres sans savoir aucun et si pauvres que pendant des années ils ont été à charge d’autrui. De telle sorte que, non seulement ils sont partis de rien, mais encore se sont, pour simplement survivre, couverts de dettes.
De tels hommes n’ont pourtant disposé, pour déborder d’une activité telle qu’elle les a conduits aux sommets qu’ils ont gravis, que la même ration de temps que leurs contemporains. 24 heures par jour, comme tous les autres! leur ascension provient donc de la méthode par laquelle ils sont parvenus à mettre ce temps à profit.
Certes d’autres raisons peuvent être invoquées pour expliquer leur succès : le milieu familial, le milieu social, la fortune, leurs dons naturels. Et à celles-là on peut aussi ajouter les circonstances. Mais dans bien des cas, telle ou telle de ces raisons ont manqué. Il serait facile de citer des noms. Dans bien des cas de telles explications ne peuvent être avancées. Par contre, dans tous les cas et dans tous les domaines la réussite est finalement due à une bonne utilisation du temps. Et par là je ne fais nullement allusion à la paresse ou à l’activité, à l’oisiveté ou au travail. Je veux parler de la méthode par laquelle les heures qui s’écoulent sont employées. Car il y a de bonnes méthodes et de mauvaises méthodes.
La bonne méthode consiste à réserver une partie de son temps à l’acquisition des connaissances utiles; à ne consacrer par conséquent au travail salarié, qu’un temps limité. C’est la seule manière de progresser au cours de sa carrière et de développer peu à peu toutes les possibilités latentes de son être. En se référant aux horaires de travail salarié, on peut appeler cette méthode, selon une formule générale : le travail à temps partiel.
La mauvaise méthode est naturellement celle du travail à temps complet. C’est de toute évidence celle qui est imposée à la plupart des travailleurs. Bien qu’il ne soit guère possible de travailler sans dans le même temps apprendre quelque chose et de ce fait améliorer dans une certaine mesure son gain quotidien, il demeure hors de doute qu’il s’agit là d’une méthode ruineuse dans tous les sens du mot. Une méthode qui fait que, pendant toute sa vie active, le travailleur demeure dans le même emploi, qu’il soit attaché à la glèbe ou rivé à sa machine-outil, depuis son entrée dans la profession jusqu’à l’heure de sa retraite.
Pour être juste, il faut reconnaître qu’il est également hors de doute que, pris individuellement, un grand nombre de travailleurs, quelquefois partis de rien, parviennent à modifier cette méthode à leur profit; au prix d’efforts supplémentaires, ils prennent sur leurs loisirs et leur temps de repos le temps nécessaire à leur perfectionnement professionnel et culturel.
Mais, précisément, ce sont les forts qui échappent à la règle commune, qui s’évadent d’un système social institué pour la mise au pas des plus faibles et des moins armés. Encore une fois, il s’agit pour la civilisation de protéger les faibles, d’amoindrir les différences naturelles et de contrarier la sélection naturelle des classes et des espèces. Décidément, si l’on veut comparer entre elles des civilisations différentes, il faut dire qu’elle est supérieure, celle où le temps de travail légal est le plus court.