[1. Impôts inefficaces et irrationnels]

Si la répartition individuelle des profits s’installe dans les mœurs, les règles fiscales au moyen desquelles l’État se procure les ressources qui lui sont nécessaires pour faire face à ses obligations et à ses fantaisies deviendront vite hors de saison. Donnons leur dû à quelques millions de salariés, on verra la manière dont ils réagiront lorsqu’ils s'apercevront que leurs droits sont encore en partie violés. Si l’on espère n’imposer alors que les actionnaires, ce serait aboutir aussi à une levée générale de boucliers. Réaction facile à prévoir. Ce serait toucher au second revenu des salariés. Un second revenu qui permet au salarié d’améliorer son sort, en augmentant ses ressources sans augmentation de travail. Ce serait aussi metre hors de service un puissant levier grâce auquel les travailleurs deviendront peu à peu les propriétaires de leurs instruments de travail et par voie de conséquence les autogestionnaires de leur sort.

Car, sur le plan économique, si la justice impose le partage des profits, le partage des profits mène à une réunification dans chaque être humain de chacune des trois fonctions qui concourent à la prospérité de l’activité humaine : le travail, l'épargne et une gestion autonome de ces deux sources de richesse harmonieusement combinées. De telle sorte que le travailleur de demain ne sera plus un homme mutilé ou la fraction spécialisée d’un ensemble productif. Il aura une autonomie réelle sur le plan économique, première étape indispensable vers une liberté plus large encore. Et ce n’est pas a un homme dont les chaînes vont se rompre qu’il sera possible d'imposer un tribut.

Car « tribut » est bien le mot qui convient pour qualifier la maniere dont actuellement est organisée la rentrée des impôts. Un État moderne n'est plus une entreprise à caractère collectif, c’est une sangsue sur le dos de la collectivité. Une démocratie véritable ne doit pas vivre de rançons, mais subsister a l'aide de cotisations, comme n’importe quelle association de bienfaisance sans but lucratif. Mais quand les deniers de l’État sont détournés de leur fonction naturelle pour satisfaire aux besoins idéologiques d’une petite quantité d'oligarques, il ne s'agit plus d’une démocratie athénienne mais d’une république de Venise. C’est pourquoi une refonte totale du système fiscal devra nécessairement suivre toute révolution sociale entreprise dans un souci de justice. Et pour commencer cette réforme, il faut tout d’abord dénoncer les désavantages nombreux qui découlent de tous les impôts qui frappent les revenus.

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Les impôts directs ne représentent en France que 25 % environ des rentrées fiscales et l’impôt sur le revenu est relativement récent puisqu’il ne date que de 1917. On ne peut donc pas dire qu’ils soient vitaux pour l’État. Mais leur utilité est considérable sur le plan psychologique. Sans eux le capitalisme aurait déjà sauté mille fois. Ils jouent le rôle d’une soupape de sûreté sur une chaudière à vapeur. Quand les feux sont trop poussés, la vapeur fuse et la chaudière n’explose pas. Sur le plan électoral, c’est une très bonne affaire pour la bourgeoisie. Très rentable, comme d’échanger sur la Côte Occidentale d’Afrique des verroteries contre des esclaves et de la poudre d’or. Cela a permis aux classes dirigeantes de se maintenir au pouvoir quelques décennies de plus et d’apaiser ainsi à peu de frais l'agitation sociale. À fort bon compte en définitive.

Une telle formule convenait aussi sur le plan électoral aux partis anticapitalistes. Cela leur amenait des voix. Et de plus, pour les communistes du moins, cela ne trahissait pas leur idéal. L'accumulation des richesses, quand elle se fait au profit d’un État totalitaire, n’est plus cette tare du capitalisme dénoncée par Marx. C’est une méthode sûre pour parvenir au pouvoir suprême et c’est par conséquent le chemin nécessaire par où doit passer leur révolution prolétarienne.

Bref, en régime capitaliste la suppression de tels impôts est positivement impensable. Ils collent à la peau du système. Mais, pour ceux qui ne tiennent pas à voir le système s’éterniser ou se transformer en un système plus implacable encore, il est normal de vouloir en décompter les tares. La liste est longue. Disons que de tels impôts sont inefficaces, irrationnels, illusoires, illogiques, qu’ils mènent à un dirigisme d’État arbitraire menant en droite ligne au capitalisme d’État; enfin et surtout qu’ils sont inapplicables dans un régime de justice sociale et en conséquence condamnables.

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Les impôts sont :

1) Inéfficaces parce que leur recouvrement est coûteux, qu’ils sont basés sur des déclarations volontaires souvent inexactes, qu’il faut contrôler, sur un calcul des impositions où une véritable assurance contre la fraude se trouve intégrée. Ils imposent a toutes les entreprises des frais importants par le travail préparatoire constant que cela demande.

2) Irrationnels. On peut, soit comparer les dépenses publiques aux recettes publiques, soit comparer les dépenses publiques aux dépenses privées. Comparer revenus privés aux dépenses publiques n’est pas raisonnable. C’est confondre cotisation librement consentie et rançon imposée. Une telle affirmation peut sembler paradoxale ou spécieuse. Elle prendra son sens plus loin quand j’envisagerai l’aspect positif du problème fiscal.