[1. Élection et participation des travailleurs]

Mon rôle n’est pas ici de rédiger les statuts qui régiront à l’avenir les sociétés commerciales; ce sera l’affaire des spécialistes. Mais il m’appartient de déterminer les principes dont ces statuts devront tenir compte et d’en prévoir les heureuses conséquences.

Aujourd’hui, la direction d’une telle société se trouve entre les mains d’un conseil d’administration qui élit l’un de ses membres président-directeur général et à qui il confère toute l’autorité et toutes les responsabilités que la loi lui reconnaît.

Auparavant, une assemblée générale des actionnaires aura élu les membres du conseil. Car il s’agit bien d’une élection. Les intéressés, on ne peut choisir un terme plus exact pour qualifier les propriétaires de l’entreprise, choisissent leur guide, leur chef, et lui confèrent, pendant un mandat d’une durée définie, le soin de gérer l'entreprise. Pour justifier cette confiance, le président de la société est lui-même guidé par un programme simple : réaliser un bénéfice, le plus élevé possible, aux moindres frais et sans prendre de risques superfius. Le succès de ce programme assure en fin de mandat sa réélection.

Dans une société d’un genre nouveau, où non seulement les actionnaires, mais aussi les cadres et la totalité des salariés participent à un partage des bénéfices, ces derniers font évidemment partie de ceux que je viens d’appeler « les intéressés ». Il n’est donc nullement arbitraire, il est naturel que l’assemblée générale, qui en dernier ressort examine les comptes de l’entreprise et choisit ses administrateurs, soit composée de tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont droit à une part du profit.

Il suffit donc de quelques lignes dans un texte, pour que fassent partie de l’assemblée générale tous les intéressés, pour que, dans une entreprise où les salariés sont intéressés aux profits, tous les salariés fassent partie de l’assemblée et possèdent donc, ipso facto, un droit de regard sur la marche de l’entreprise. Jamais une révolution sociale ne se sera faite avec une telle simplicité de moyens.

Naturellement, l’entrée des salariés dans l’assemblée n’en chasse pas pour autant les actionnaires. Les bulletins de vote seront donc détenus par des ayants droit dont l’origine des droits sera différente. Pour départager les droits de vote, la formule la plus équitable et aussi la plus simple sera de les évaluer en fonction de la part de bénéfice auquel chacun a droit. Cela donne pour le partage des voix une commune mesure qu’il est bien difficile de contester.

Sur le plan pratique, cette formule est d’une application simple. Si les comptes de l'entreprise présentent un bénéfice de 1 million de francs, ce chiffre représentera l'unanimité des voix dont le compte s’effectuera évidemment en francs. Par exemple, un salarié qui aura droit à un bénéfice de 5 000 F de par son seul salaire, aura autant de poids sur le plan électif qu’un actionnaire qui, de par le nombre de ses parts, aura droit à cette même somme de 5 000 F. L’un et l’autre représenteront chacun un droit de vote égal à 5 000 / 1 000 000 de l'unanimité. Ils seront donc individuellement à égalité, bien que leur participation à l’activité de l’entreprise se soit exercée de façon entièrement différente.

Il résulte de cette formule, que l’on peut additionner les droits quelle que soit l'origine qui leur a donné naissance. Par exemple, si l’on prend le cas d’un « cadre » qui possède un certain nombre d’actions de la société, cet employé touchera un bénéfice à trois titres différents :

  1. Celui que son salaire lui aura procuré,
  2. Celui que sa prime lui aura procuré,
  3. Celui que ses actions lui auront procuré.

L’addition peut se faire puisque tout est exprimé dans la même monnaie. Ses droits de vote seront ceux que chiffrera l’addition de ses trois parts de profit.

Quant au cas où l’exercice social est déficitaire, il est tout aussi facile de calculer la « perte individuelle ». Quand il s’agit d’un résultat nul, ni profits ni pertes, il est logique de prendre pour la détermination des droits de vote, les bases de départ qui auraient dû servir au partage du profit. Dans aucun cas donc il ne manquera d’instrument de mesure pour répartir les voix dans une assemblée élective.

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Toutes ces nouveautés découlent d’une logique simple. Il est logique également de conserver aux intéressés le droit de se faire représenter à l’assemblée par une tierce personne. Laquelle pourra détenir un grand nombre de procurations et jouer dans les débats un rôle fort important, même dans le cas où elle ne détient pas la majorité absolue. Si l’on songe, par exemple, que deux ou trois personnes parfaitement qualifiées dans les domaines comptable, financier, économique et agissant entre elles de concert, représentent les voix de tous les salariés de l’entreprise et, en outre, ce qui apparaît à peu près certain, un grand nombre de voix en provenance de la petite épargne, on peut prévoir sans erreur, des changements fondamentaux dans la conduite des affaires publiques et privées. La participation des salariés aux profits ne demande pour devenir légale, c’est-à-dire obligatoire, que quelques lignes dans des statuts. Mais elle entraîne des conséquences tellement révolutionnaires que cela signifie la naissance d’un système social tout neuf.

Cette remarque va se justifier plus encore en analysant certains changements qui doivent nécessairement intervenir dans la gestion des entreprises quand la répartition des profits entrera en ligne de compte, et il est un problème qu’il convient maintenant d’aborder.