[1. Justice et charité]

Démolir une société pour en rebâtir une neuve, cela suppose des motifs graves; ils le sont. Sinon, il suffirait de laisser faire les tâcherons qui s’affairent à boucher les fuites et à replâtrer les murailles; de faire confiance à leur vocabulaire, d’espérer dans un socialisme « à la suédoise » ou « à visage humain », de pavoiser à chaque « printemps de Prague » et à chaque « Prix Nobel de la Paix ». Depuis que « démocratie populaire » est passé dans le langage courant pour désigner une dictature totalitaire, on voit mal pourquoi la propagande des régimes établis en viendrait à porter les débats sur le fond.

Ce qui compte, c’est que, sur la route du progrès, le Monde marche depuis longtemps à rebours; nous sommes en train de réorganiser l’esclavage, de légaliser la barbarie ; si on ne porte pas remède à ce désordre nous nous retrouverons un jour redevenus sauvages. Un vrai retour sur nous-mêmes est nécessaire, une vraie révolution est à faire.

Dans son livre « Pour un modèle du Socialisme », paru en 1968, Roger Garaudy écrit, page 353 : « La vérité du marxisme n’est pas un don du ciel ; elle germe de la Terre ».

Certes, la vérité, toute la vérité germe de la Terre, mais la seule vérité ne constitue pas à elle seule une morale; elle ne nous suffit pas pour distinguer le bien du mal. Il faut donc aller jusqu'au bout du verset, et lire dans le Psaume 84 de la Bible :

« La vérité germe de terre et la justice descend du ciel.»

De même qu’un épi de blé se forme et mûrit grâce aux racines qui pénètrent dans le sol et au soleil qui l’éclaire, de même une morale ne peut naître que d’une conjonction nécessaire de justice et de vérité. De terre on ne peut guère tirer qu’une lumière artificielle. L’intelligence du cerveau a besoin de l'intelligence du cœur. La passion a toujours eu sa place dans la politique, et les mouvements du cœur les plus combatifs, ce sont la haine et l’amour. Le Christianisme prône l’amour. L’amour du prochain a un pouvoir social ; c’est le premier pas à faire quand on se donne pour but le bonheur de tous.

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L’amour consiste à être juste et charitable! La charité est la justice à la puissance deux; la justice ne suffit pas, la charité non plus, il faut pour aimer additionner les deux. C’est exactement comme dans le domaine de la mécanique: un moteur ne peut fonctionner que si toutes ses pièces ont été fabriquées avec justesse. Mais si on n’a pas prévu de jeu entre les pièces en mouvement et de l’huile pour les lubrifier, il ne fonctionnera pas ou il grippera. La charité est le jeu que demande la justice. Ainsi acquiert-on de bons réflexes, ceux de St Martin et du Bon Samaritain.

Cependant l’amour du prochain est une simplification exagérée de ce que l’Évangile annonce. C’est un précepte trop vague pour devenir une loi. On peut résumer l’Évangile, mais pas à ce point là. Le Christ a été plus précis ; il a dit: « Aimez votre prochain comme vous-mêmes » et ce « comme » définit exactement quelle doit être une vie sociale idéale et l’horizon vers lequel nous devons nous diriger. Le précepte prend une valeur mathématique. Il y a trois manières d’aimer son prochain, une seule est bonne.

Le capitalisme accepte l’idée d’aimer son prochain moins que soi-même. C’est un idéal d’inégalité. Le socialisme exige que l’on aime son prochain, plus que soi-même. Chacun doit se sacrifier pour la société. C’est un idéal d’inégalité. C’est le même que celui du Capitalisme, vu sous un angle différent. Et le dogme de l’inégalité a une pesanteur telle qu’elle crève toutes les limites d’un quelconque équilibre. L’amour du prochain devient vite le besoin du prochain. La caste du pouvoir s’approprie tous les droits, le peuple subit toutes les obligations correspondantes. L’esclavage du peuple est donc la conséquence logique d’une acceptation incomplète et réticente de la vérité révélée.

Si au contraire l’égalité est l’idéal social, la liberté de l’homme augmente avec tous les efforts de progression sociale. Le meilleur moyen de défendre sa liberté est encore de défendre celle des autres, celle des humbles et celle des faibles. Ils doivent être aidés et ils doivent être défendus, tel est le programme des mouvements anarchistes : faire dépendre le pouvoir de la base.