[1. Révolution et inégalités internationales]

« La révolution que nous annonçons se feras contre le système actuel tout entier, ou elle ne se fera pas », écrivait Georges Bernanos peu de temps avant sa mort. Cette révolution n’est pas arrivée. Parce que tous ceux qui se prétendent révolutionnaires sont des conservateurs qui s’ignorent; les uns veulent sauver la société socialiste, les autres la société capitaliste, deux idéologies apparemment contradictoires mais qui sont toutes deux attachées à la destruction de la liberté individuelle de l’être humain.

Un système social est quelque chose de cohérent; si on s’attache au nom de la justice à en démolir une partie, tout s’écroule. Mon livre est en quelque sorte un plaidoyer pour une juste répartition des profits. Si on s’accorde sur ce thème, toutes les autres propositions suivantes découlent en stricte logique du premier postulat et c’est bien « le système actuel tout entier » comme le dit Bernanos qui s’écroulera.

Jusqu’à aujourd’hui cette révolution ne s’est pas faite. En 1942, Bernanos disait aussi : « L’homme des machines n’est pas seulement menacé d’appartenir aux machines, il leur appartient déjà, c’est-à-dire qu’il appartient à un système économique qui lie de plus en plus étroitement son sort à celui des machines, à la construction des machines, au développement et au perfectionnement des machines ». Et nous sommes en 1975. Depuis que ces lignes ont été écrites, toute une génération nouvelle a plébiscité par une sorte de contestation permanente les paroles de Bernanos. De plus, la mise en chantier et les réalisations de ce qu’on appelle l’Aide au Tiers Monde ont clairement mis en lumière la philosophie mercantile qui règne dans les rapports qui se sont développés entre assistants et assistés; elle compromet l’avenir du monde entier. Et tous ceux qui veulent vivre dans un air respirable font leur la conclusion à laquelle aboutissent les recherches d’entente internationale de Don Helder Camara qui proclace : « L’Europe et l’Amérique du Nord ont besoin d’une révolution sociale ».

La révolution dont il doit être question ne concerne donc pas seulement un ou plusieurs pays restés à la traîne. Elle concerne le Monde entier entraîné dans un retour offensif général des droits de la force et de la violence et doit donc être universelle.

Mais, pour que cette révolution advienne, elle doit naître à partir de certaines régions où les esprits sont mûrs, non seulement pour une contestation destructive, mais aussi pour la mise à exécution d’un programme positif. Le vrai révolutionnaire est un bâtisseur. De même qu’un incendie se propage à partir de foyers d’incendie, la révolution a besoin de se choisir des terrains d’élection et de triompher d’abord localement avant de se répandre dans l’ensemble du monde habité.

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Dès lors on est bien obligé de se préoccuper de la situation du pays qui prend les devants et qui, pendant un temps plus ou moins long, va coexister avec les autres, muni d’institutions politiques, économiques et sociales en avance sur celles de ses voisins. Ce sera celle du petit canard qui s’en va barboter dans la mare abandonnant au bord de l’eau les petits poussins éclos de la même couvée. Il faudra que les relations demeurent, que les rapports se maintiennent sans que, cependant, la flamme idéologique qui doit gagner le Monde ne soit pas soufflée et ne s’éteigne.

Cela impose dans un tel pays où la révolution a triomphé un pouvoir fort, c’est-à-dire bénéficiant du soutien populaire, et disposant, comme Minerve Athéné, d’une lance et d’un bouclier.

La lance, c’est la propagande idéologique par laquelle le régime nouveau diffusera sa pensée maîtresse et montrera en exemple ses institutions.

Le bouclier, ce sera tout particulièrement son organisation douanière et bancaire afin de normaliser les échanges internationaux.

Abordons d’abord cette question qui, chronologiquement, est en réalité la première. Quand un pays, comme la Russie en 1917, ou la Chine plus récemment, se singularise, ses frontières et sa monnaie deviennent parmi les points de préoccupation des sujets plus importants que la propagande extérieure. Les échanges d’idées n’ont pas un caractère aussi urgent que les échanges de marchandises, en vertu du vieux principe qui dit qu’avant de philosopher il faut d’abord vivre.

Si donc la France se singularise en réformant les règles de son système économique, monétaire et fiscal, la transformation de son système douanier devient une nécessité prioritaire. En effet, en appliquant son nouveau système fiscal, où les biens de nature supportent tout l’effort fiscal, on aboutira, vis-à-vis des pays encore soumis à l’ancien régime des impôts, à des disparités de prix choquantes :

  • 1) Matières premières plus chères en France qu’à l’étranger ;
  • 2) Produits finis : prix moins élevés.

Ceci constitue un survol approximatif de la situation, étant donné l’impact que produiront les autres transformations sociales envisagées par ailleurs. Quoiqu'il en soit, un régime douanier nouveau, où détaxes devraient tout aussi bien que taxes, trouver place, est le seul moyen d’éviter l’asphyxie des échanges commerciaux.

Naturellement, si d’autres pays adoptaient le système fiscal français, le système douanier en tiendrait compte. Le point important est d’éviter l'absurde.

Le système douanier doit donc avant tout être une construction empirique. Il y a aussi empirisme dans les rapports monétaires entre la piastre Monnaie-Travail et les autres instruments de règlement en vigueur sur les places étrangères. Mais dans de tels rapports, il existera aussi des éléments d’ordre rationnel et déjà une intervention brutale de l’idéologie dans les relations commerciales.

Un pays comme la France n’a pas de montagnes de fer ni de puits de pétrole pour servir de moyens de paiement à ses importations. Tout ce qu’elle doit acquérir en dehors, elle ne peut le régler que par son travail. Instaurer donc une monnaie qui représente à la fois le travail français et son efficacité propre aboutit en définitive à établir dans le cours des devises étrangères actuellement privées de définition valable un point fixe de comparaison, d’une utilité internationale incontestable, car il n’y a plus de points fixes aujourd’hui.