[2. Contexte hitorique]

Une telle définition nous invite à faire quelques pas dans l’histoire, car la naissance du capitalisme n’est pas d’hier. Elle date de la fin du XVIIIème siècle, à l’époque où le charbon de terre fut découvert et la machine à vapeur inventée. En mettant à la disposition des hommes une puissance mécanique inestimable, ces inventions nouvelles remirent en question les rapports jusque-là presqu’immémoriaux qui présidaient aux relations traditionnelles entre employeurs et employés, entre la propriété des instruments de production et le producteur. Au profit de qui désormais l’énergie nouvelle extraite des forces de la nature allait-elle servir ? Une énergie telle que les coûts de production s’en trouvaient désormais bouleversés.

Car du temps que Napoléon perdait la bataille de Waterloo, les fileuses de laine ou de lin utilisaient encore la quenouille de Jeanne d’Arc ou de Ste Geneviève. Combien d’aunes de fil à l’heure pouvait produire alors une aïeule ou une bergère ? Et dix ou quinze ans plus tard d’ingénieuses mécaniques pulvérisaient tous les records de production, inaugurant ainsi une ère nouvelle, celle de l’industrie.

Un tel « bond en avant » de la productivité pouvait être exploité de deux manières différentes et cela simultanément. D’une part par une diminution des horaires de travail, d’autre part par une augmentation de la consommation. Pendant tout le XIXème siècle les défenseurs des droits du travail ont célébré l’avènement d’une ère nouvelle où les besoins de tous auraient été pleinement satisfaits au prix de quelques heures, de quelque deux ou trois heures de travail quotidien. Mais c’était compter sans les instincts humains libérés par la grande tourmente sociale de la Révolution. La possession, réservée aux riches, des instruments de travail menait en droite ligne à l’appropriation des travailleurs dont le surnombre rendait l’acquisition aisée. Et les propriétaires d’outils et de main-d’œuvre n’avaient nul besoin de savants calculs pour découvrir que la prolongation des heures de travail par delà les frontières naturelles du jour et de la nuit additionnait des profits supplémentaires à des profits normaux. Tel est en quelques mots l’acte de naissance du capitalisme, né des libertés que la Révolution a su au moment opportun accorder aux plus forts.

L’histoire et les considérations qu’elle provoque n’entrent cependant pas dans le cadre de mon ouvrage. Je n’y ai fait appel que pour souligner à quel point la manière d’employer son temps joue un rôle capital dans la constitution et la stabilité des différentes classes sociales. Revenons-en donc à l’actualité et soyons assurés désormais que toutes les découvertes scientifiques et techniques doivent se traduire par des avantages pratiques en faveur de tous, et que la commune mesure en doit être une diminution du travail obligatoire, non pas en faveur de je ne sais quelle oisiveté organisée, mais au profit d’un travail effectué pour le plaisir, entrepris, pourrait-on dire, à titre gracieux, s’il ne s’agissait d’un travail intéressant, source de joies de toute nature et cependant productif, puisqu’il permet, dans toutes les directions possibles, une progression, un épanouissement, bref le développement harmonieux de toutes les facultés de l’homme.

Ce travail non rémunéré directement, c’est l’instruction, l’éducation, l’étude; dans une société équitable c’est un droit dévolu à chaque nouveau-né tandis que sous un régime capitaliste des restrictions sans nombre s’amoncellent pour faciliter le grand tri social nécessité par la conservation de l’ordre établi. Le temps de scolarité, les concours éliminatoires, les besoins en main-d’œuvre, tout cela est régi, subordonné, réduit en équations en vue d’adapter chacun à la mécanique sociale.

Un Anglais me disait, voici quelques années : dans la société actuelle, il y a deux nations; celle où l’on s’instruit jusqu’à 13 ans (thirteen years) et celle où l’on s’instruit jusqu’à 30 ans (thirty years). On ne peut mieux dire. C’est en dosant le savoir que l’on construit et que l’on entretient en bon état les barrières sociales.

Réciproquement, ouvrir à tous les chemins du savoir permettra le rassemblement des citoyens en une seule nation. Envisager cela mène à une sérieuse transformation de nos usages et coutumes. C’est poser en principe la permanence de l’éducation et de la formation humaine. Cela oblige à réformer à la base l’organisation présente des activités humaines.