[1. Salaire de base]

Quoi qu’on puisse penser, l’or n’est pas aujourd’hui l’étalon monétaire qui règle entre les personnes et les nations les rapports économiques.

Les règles internationales qui les déterminent se composent d’une série d’ententes et de compromis qui permettent à une oligarchie de possédants d’exercer une influence prépondérante sur les destinées du Monde de manière à maintenir sa domination sur les masses. Le prix du travail, le prix des choses, toutes les questions d’ordre économique, social, politique et même religieux, toute la marche du monde enfin, tout cela concourt à préserver les avantages du passé, les privilèges des premiers arrivés, la conservation de l’ordre établi. Toutes les décisions des puissants et des sages tendent à consolider un système planétaire où la richesse acquise représente un soleil autour duquel gravitent comme des planètes obéissantes les lois humaines.

Prendre l’heure de travail comme étalon monétaire, c’est bouleverser l’ordre établi. Pour le travailleur c’est accéder à la liberté, pour chaque nation c’est se créer une monnaie nationale et acquérir ainsi son indépendance économique.

À la lecture du précédent chapitre on a pu voir que les billets émis en piastres, c’est-à-dire en heures de travail, pouvaient être gagés et constituaient donc un papier-monnaie valable et sûr. Selon la qualité et la quantité de son outillage global, chaque pays aura, par heure de travail, une capacité de production différente de telle sorte que, dans chaque pays, la piastre aura une valeur distincte des autres piastres, une valeur locale. D’autre part, avec l’installation d’équipements nouveaux la productivité du travail ira s’améliorant d’année en année, augmentant d’une façon automatique la valeur de la piastre locale. Enfin, comme tous les pays ne développeront pas leur productivité de la même manière chaque année, les piastres des différents pays n’auront pas de parités fixes, la valorisation de l’une étant indépendante de celle des autres.

Pour préciser les choses, les variations de cours des devises nationales sont inscrites dans les faits : le Monde comprend des nations fort peu industrialisées, dont le retard par rapport à d’autres est très grand. Dans ces pays neufs, un programme d’équipement peut développer en quelques années la productivité d’un travailleur d’une façon spectaculaire; la piastre locale peut donc doubler, tripler ou quadrupler sa valeur presque à vue de nez. Et dans le même laps de temps, un pays fortement industrialisé verra sa propre piastre augmenter de valeur, si toutefois cela arrive, d’une façon bien modeste. En conséquence si les monnaies locales sont exprimées en piastres, le développement du Tiers-Monde et la parité des changes sont foncièrement antinomiques. Chaque État organisé doit posséder sa propre monnaie, la fonder sur le travail de ses nationaux. C’est ainsi seulement qu’il pourra sauvegarder son indépendance financière.

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Chaque pays doit donc définir sa propre piastre, déterminer donc à quoi correspond une piastre.

On pourrait dire :

Une piastre est le salaire que reçoit, pour une heure de travail, un travailleur qualifié, possédant la maîtrise de son métier. Avant d’avoir obtenu cette qualification, son salaire sera inférieur. Par la suite, si ses connaissances professionnelles lui permettent d’accéder à des occupations de plus haut niveau, son salaire sera évidemment majoré.

Ayant donc adopté comme salaire de base la rémunération horaire d’un travailleur d’une qualification professionnelle bien déterminée, une sorte de loi constitutionnelle des salaires doit donc présider à toute l’organisation monétaire du pays. Autrement dit, le salaire-type aura valeur légale dans tout le pays. Non seulement c’est à partir de ce salaire-type que l’échelle des salaires se pourra calculer, mais ce salaire légal ne devra pas être modifié au gré des circonstances qui n’ont pas d’incidence sur la valeur du travail fourni. Je veux dire par là, qu’il n’est pas admissible par exemple qu’une femme touche un salaire différent de celui d’un homme, ni qu’un travailleur habitant la campagne ne soit pas payé au même tarif que celui qui habite en ville. Un service rendu ne change pas de valeur selon la personne qui l’a rendu, ni selon le lieu où il a été rendu. Si les conditions de vie à la campagne sont plus avantageuses qu’en ville, tant mieux pour le campagnard. Mais de tels avantages ne doivent profiter qu’au travailleur. Ils ne peuvent être récupérés par l’entreprise qui doit toujours, quels que soient son implantation et le sexe de son personnel, rémunérer au prix légal les services qu’on lui rend. Une telle règle est tout à fait compréhensible dans n’importe quel système économique, sauf par le capitalisme qui s’en tient à la formule profitable de ne tenir compte dans son estimation que de la loi de l’offre et de la demande.

Mais dans un système économique neuf, où le salaire constitue la pierre d’angle de toute l’organisation monétaire, il devient absolument nécessaire de poser ce principe car il garantit la lixité et la stabilité de l’unité de compte, c’est-à-dire de la monnaie.

Un salaire de base ayant donc au préalable été déterminé et défini par la loi, il reste à établir un système cohérent de salaires. Cela suppose de la part des organisations professionnelles l'établissement de barèmes comparatifs d’un réseau à l’autre et évidemment d’un éventail de salaires effectifs en augmentation ou en diminution par rapport au salaire de base d’indice I. Il s’agit d’un travail délicat, où des éléments d’appréciation qualitatifs doivent être traduits en chiffres. Mais il faut bien en définitive déterminer ces différences.