[5. Le contrat de l'État]

Cependant, voici exposées les grandes lignes d’une législation fiscale en régime de liberté. J’ai déjà dit son intérêt pour le travailleur puisque c’est pour rendre le travail intaxable qu’un tel plan a été élaboré. Un autre avantage positif se trouve dans l’importance qu’une telle méthode donnera à toutes les activités économiques axées sur la récupération d’une foule de produits et dans la diminution du gaspillage énorme qui caractérise les temps modernes. Tout ce qui est actuellement rejeté du circuit économique comme sans valeur pourra devenir dans certains cas le pointde départ d’activités nouvelles à base de matières premières récupérées, dont les taxes ont déjà été acquittées et dont les frais de ramassage et de transformation ne seront pas alourdis par la fiscalité.

Quant au rôle de l’État dans l’organisation générale du travail, il peut être souverain, comme je l’ai déjà mentionné. Par le biais des droits de douane il peut encourager la production locale ou la décourager selon les possibilités de main-d’œuvre et sa qualification. Il peut provoquer la remise en exploitation d’une mine afin de maintenir le plein emploi, ou au contraire en provoquer la fermeture s’il apparaît plus avantageux d’alimenter en main-d’œuvre des industries plus florissantes. Cela sans décrets ni plans, mais par la composition même du budget qu’il suffit de modifier chaque année dans un dessein précis.

Car si le dirigisme d’État est condamnable quand il régit les affaires privées, il est indispensable au contraire quand il les influence dans le sens le plus favorable à l’intérêt général. Un plan d’orientation économique, qui ne soit pas autoritaire et impérieux doit pouvoir être traduit par le budget de l’État. Si le programme d’activité souhaité par l’État peut être influencé par la manière dont les dépenses publiques se décomposeront, c’est surtout par la ventilation des recettes fiscales que l’action du budget sera libérale et efficace. Et de surcroît, ce plan, qui au départ a fatalement un caractère théorique et abstrait, sera dans son exécution corrigé par les faits et les problèmes que sa mise en pratique fera à la fois surgir et résoudre. De sorte que les conceptions du départ se trouveront progressivement corrigées dans l’application et améliorées par l’usage.

Cette puissance que l’État peut ainsi légitimement détenir prouve une fois de plus à quel point les institutions doivent être corrigées. Si le pays est divisé entre deux classes sociales en lutte l’une contre l’autre, s’il y a une droite et une gauche, le parti au pouvoir ne peut avoir qu’une politique partiale. Il faut donc œuvrer pour la disparition des classes sociales afin que l’intérêt de la nation soit véritablement l’intérêt de tous et que les serviteurs du pays obtiennent ainsi la collaboration et l’adhésion confiante de l’ensemble du corps électoral.

À la fin de ce chapitre on peut déjà voir se dessiner une société toute différente des sociétés capitalistes et communistes, dont la caractéristique essentielle sera la recherche de la justice avec comme conséquence directe la paix sociale et la libération des personnes. Une telle société sera viable grâce à la distinction fondamentale que j’ai établie, en particulier dans ce chapitre-ci, entre les richesses naturelles et le capital.

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La Société possède les richesses naturelles, pas le capital ; le travailleur possède le capital, fruit de son travail, pas les richesses naturelles, propriété collective. Naturellement la Société et les individus ne peuvent rien faire séparément: la Société ne peut vivre sans les travailleurs qui sont ses clients, et les travailleurs ne peuvent rien faire sans la Société qui leur fournit la matière première sur laquelle ils pourront développer la puissance de leur travail et de leurs outils.

Dans une telle nécessité mutuelle, un contrat de gré à gré peut régler amiablement les rapports économiques entre les deux parties, c’est-à-dire le budget de l’État. Le contrat est librement débattu; ce n’est plus un contrat de travail où le capital impose sa loi au travailleur parce qu’il est puissant et que le travailleur doit vivre.

Mais pour que ce contrat soit librement débattu il faut deux conditions. La première est que les travailleurs soient représentés; d’où la nécessité d’une organisation adéquate. La seconde c’est que la Société ne soit plus divisée en deux classes sociales distinctes mais que, grâce à une révolution dans l’économie, les classes sociales se fondent en une seule. Autrement dit, que le régime politique nouveau défende aussi bien les intérêts de la Société que les intérêts des particuliers. Pour un gouvernement populaire il faut cela. Il doit remplacer le règne d’une bureaucratie coupée du peuple. Celle-ci travaille, en voulant enrichir l’État, à se distinguer du peuple. Elle se distingue par un accaparement abusif de responsabilités et par son goût pour le commandement et le pouvoir.

Cela nous ramène à la condition fondamentale, car le rôle de chacun est de défendre impartialement à la fois ses intérêts privés et les intérêts de la Société, c’est-à-dire ceux des autres. Sans amour ce rôle difficile ne sera pas rempli. Par contre, en s’efforçant d’aimer son prochain comme soi-même, la partie est gagnée; l’impartialité devient la règle suprême du savoir-vivre et l’atout maître d’une vie sociale meilleure. Seul l’amour justifie l’espérance.

On verra plus loin quel devra être le rôle de l’État dans sa politique étrangère, dans ses relations internationales et en particulier dans sa contribution financière au budget mondial d’entraide internationale. Ce budget, facteur de paix, en restreignant les risques de guerre, contribuera logiquement à rendre moins nécessaires, et par conséquent moins lourds, tous les budgets de défense nationale du Monde entier. Si l’entraide internationale n’est pas le résultat de surenchères publicitaires de la part de l’une ou l’autre des nations industrielles, mais le résultat réfléchi d’un effort en commun de toutes les nations, alors les espérances de paix remonteront en flèche, les dépenses militaires s’amenuiseront et on pourra vraiment dire que ce résultat n’aura rien coûté à personne. Dans un Monde ordonné, la paix est gratuite.