[2. Impôts et travail]

Bref, les dépenses légitimes de l’État sont celles qui profitent à la collectivité tout entière, c’est-à-dire à tous, par conséquent aux inactifs comme aux travailleurs. Prélever donc une dîme sur le revenu des travailleurs est loin d’être équitable, c’est privilégier les autres. Il est plus logique et il est plus juste de taxer chacun sur sa consommation. Logique parce que l’on compare et que l’on proportionne des dépenses à des dépenses; juste parce que, au lieu, comme présentement, d’encourager par tous les moyens la consommation et de provoquer de ce fait un gaspillage désordonné des fruits du travail des hommes, on pénalise la consommation, ce qui fait que, sans évidemment la supprimer, on livre un combat pour la freiner, pour la rendre raisonnable, pour que le consommateur n’achète plus les yeux fermés.

Des résultats bienfaisants en découlent. La production pourra, devra vendre du beau, du durable, de l’utile, l’épargne augmentera avec les heureuses conséquences qui en découleront, enfin la réduction des horaires de travail s’en suivra.

En régime capitaliste, ceci s’appelle « chômage »; dans une société juste la réduction des horaires de travail constitue un test de civilisation, une mesure du progrès matériel beaucoup plus significative que la consommation de papier par tête d’habitant ou quelque autre statistique mercantile. Car des horaires réduits ouvrent aux travailleurs l’accès à la culture, et l’amélioration de la condition humaine c’est cela même. Telle est en dernière analyse le but du profit. Le travail libère; pénaliser l’effort, c’est s’opposer à la libération de l’Homme.

Les ressources les plus importantes de la fiscalité actuelle proviennent d’ailleurs des taxes qui grèvent la consommation (+ 80 %). Mais le mode selon lequel ces impôts sont perçus rappelle fort opportunément qu’il s’agit toujours de pénaliser le travail ; la « Taxe à la Valeur Ajoutée » exprime exactement ceci : le travail augmente la valeur des choses et c’est cette valeur ajoutée qui est taxablêîVlLes impôts indirects ont donc finalement le même résultat que les impôts directs : plus on travaille, plus on paie. Directement ou indirectement l’État participe aux bénéfices de la collectivité, en vrai patron capitaliste, tandis que le travailleur qui a créé le bénéfice n’y participe pas; on lui donne un salaire, on l’exclut du partage par un forfait. Tant qu’à détruire le capitalisme, la logique impose de réformer aussi les méthodes fiscales actuellement en vigueur. Les contributions particulières qui permettent à l’État d’établir un budget doivent être établies différemment. Les bases d’imposition ne devront pas tenir compte de la valeur ajoutée que le travail a incorporé dans le prix de l’objet consommé. Il s’agira de taxer la consommation des produits bruts qui servent de point de départ à toute l’activité créatrice des biens économiques.

Mais, objectera-t-on, toute matière première comprend déjà dans sa valeur marchande une certaine quantité de travail. Une matière première est en somme le produit fini d’une activité précédente. Prenons pour exemple un morceau de fonte. Toute sa valeur ou presque est composée de l’effort d’un grand nombre de travailleurs. Pour qu’un impôt sur la matière première n’atteigne pas le travail, il est nécessaire qu’il s’agisse d’un produit naturel, d’une richesse naturelle. Même un morceau de charbon, dès qu’il a été extrait de la profondeur du sol où il gisait, comprend dans son prix la rémunération d’un certain travail.

C’est exactement où je voulais en venir. Dans un chapitre précédent j’ai déjà analysé, dans le but de justifier la répartition des profits, l’origine de la valeur des produits finis. J’ai montré que la part des bénéfices accordée au capital finissait en fin de compte par revenir aux mains des travailleurs, que le capital n’était en somme que du travail condensé. Dans l’exemple que j’ai choisi, celui du tissage de lin, j’ai montré que la valeur de la toile de lin était entièrement déterminée par une certaine quantité de travail sauf... précisément l’impôt foncier, qui autorisait le cultivateur à considérer comme sien le sol où la graine de lin avait initialement germé.

Dans cet exemple apparaît enfin une fiscalité qui ne lèse pas le travailleur; l’impôt n’est pas proportionnel au travail, il n’est même pas proportionnel à la valeur du sol, il est, il représente la valeur locative de ce sol; l’impôt foncier s’élève à un montant qui a été forfaitairement déterminé au préalable par la nécessité pour l’État de couvrir ses dépenses. Ainsi le prix de la toile de lin, comme celui d’ailleurs de toutes marchandises et services imaginables est représenté par une addition :
impôt + travail.

Quand l’impôt est payé, l’objet devient ipso facto un bien privé et celui qui le possède est en mesure d’appliquer à cet objet un nombre indéterminé d’heures de travail qui augmenteront sa valeur. Rien dans tous ces efforts répétés ne pourra concerner l’État puisqu’il s’agit d’un bien particulier, acheté à l’État selon un prix ferme par lequel la collectivité a donc négocié ses droits.

En définitive, ce que je préconise est la formule suivante : le budget de l’État doit être alimenté par les ressources naturelles du pays qu’il administre. En somme, tout doit se passer comme si, la Nation étant propriétaire d’un domaine, elle vivait de ses propres ressources. Comme si, étant riche, elle se procurait un revenu par une bonne gestion de sa fortune, et non aux crochets de ses enfants. De cette manière la fiscalité serait juste et bienfaisante, et simple la perception de l’impôt. Le public serait libéré, incité à la fois au travail et à l’épargne et il pourrait alors s’intéresser aux affaires de l’État d’une façon compréhensive, humaine et efficace.

D’ailleurs il est parfaitement légitime de supposer que la Nation est propriétaire d’un domaine: cette supposition est presque exacte. Elle coincide presque avec la vérité. C’est ce que le chapitre suivant va tenter de démontrer en exposant la place qu’une nation occupe dans le Monde et les droits qu’une collectivité humaine détient vis-à-vis de ses membres. Cela établi, on pourra esquisser en quelques traits une sorte de canevas qui pourra servir de cadre à l'établissement dans chaque pays du budget de l’État.