[1. État et politique]

Le régime politique d’un pays traduit inévitablement le système social qui régente la nation. Sans vouloir changer de sujet il me faut néanmoins aborder certaines questions d’ordre politique. Le problème de la fiscalité est l’un de ceux où le politique et le social se trouvent entremêlés jusqu’à presque se confondre.

En régime capitaliste les intérêts privés coupent le pays en deux, et les élections législatives entérinent cette division capitale qui sépare les opprimés de ceux qui profitent du système social. Quelles que soient les personnalités en présence ou leurs titres à représenter leurs concitoyens, le bulletin de vote consacre avant tout le fait d’une division sociale. C’est une contestation permanente qui s’exprime; elle met en cause l’inégalité régnante. Toutes les autres motivations passent au second plan, tous les autres problèmes sont abandonnés aux professionnels de la politique. La seule lutte qui emporte la décision, c’est en définitive celle des classes sociales.

Les élections désignent finalement un Parlement composé, après quelques alliances ou défections préliminaires, de deux blocs à peu près stables: la majorité sur lequel le gouvernement issu d’elle pourra prendre appui et la minorité. La division des Français s’installe à la Chambre pour quatre ans. Il y a des hommes de talent, il en est d’autres aussi; des hommes compétents, d’autres qui ne le sont pas. Tout cela n’a pas une telle importance. Sans égard à la valeur des élus, l’Assemblée nationale se compose pratiquement du groupe de ceux qui votent pour le Gouvernement et de celui de ceux qui votent contre. Dans un tel régime, le gouvernement dispose automatiquement des pleins pouvoirs dès qu’il est sorti vainqueur d’une lutte partisane. Son grand souci sera de récompenser ses amis et de faire la politique de ses adversaires afin de les gagner à sa cause, la préparation des prochaines élections étant l’objectif prioritaire de sa propre politique. Ainsi orienté dès les premiers jours, il peut à son aise satisfaire son appétit de puissance quitte à se laisser voguer au fil des événements parmi les soubresauts de l’histoire.

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Un tel régime politique, où la moitié de la Presse exulte quand le Chef de l’État se trompe est le fruit de la division des Français qui, en régime capitaliste, ne peuvent pas ne pas être divisés. Il est donc politiquement très important qu’un système économique neuf, fondé sur le partage, et non pas sur le droit du plus fort, rassemble dans une action commune tous les hommes de bonne volonté. La direction du pays en sera transformée. Ce ne sont pas les dirigeants actuels qui s’y emploieront; ils préfèrent de beaucoup une république conservatrice où capitalisme et étatisme font bon ménage.

Il faudra bien qu’un jour l’Assemblée soit constituée de députés élus, non pas pour des motifs idéologiques, mais pour leur compétence en matière financière et fiscale. C’est par le contrôle des ressources et des dépenses publiques que les Français peuvent jouer un rôle politique actif et qu’ils apprendront à assumer des responsabilités sur le plan national. Ils apprendront, à travers les débats relatifs au budget de l’État, à distinguer entre le nécessaire et le superflu, entre ce qui est urgent et ce qui l’est moins. Ils apprendront surtout que les dépenses de l’État sont couvertes par les charges de la Nation et que ce qu’ils demandent, ils doivent d’abord le donner. Mais, quand il est besoin, les Français savent donner. Besoin est que les dépenses engagées au profit de la collectivité soient couvertes par l’impôt, que les frais nécessités par l’administration du pays soient également assurés de manière convenable, que l’État enfin dispose des moyens nécessaires à mener la politique voulue par la Nation.

Mais point n’est besoin de confirmer l’État dans un rôle de banquier qu’il s’est peu à peu accaparé. Cela lui assure en définitive une toute puissance financière qu’il exerce en faveur des grands au détriment des petits. Une telle emprise sur l’économie privée n’est déjà pas du goût de la multitude des petites entreprises industrielles et commerciales. Dans l’hypothèse d’une participation générale des profits, l’État, de toute évidence, sera contraint à restituer les libertés privées qu’il a confisquées à son profit grâce à une toute puissance qui a pris naissance dans la division des Français.