[2. Épargne]

À une tout autre échelle, le père de famille ou le célibataire a quelque chose de commun avec l’entreprise qui l’emploie. Il dispose d’un budget, alimenté par son salaire et par d’autres revenus, dépendant ou non de son salaire, dont l’ensemble constitue ses recettes. Dans des conditions que l’on pourrait qualifier de normales, le montant de ses dépenses n’atteint pas le montant de la recette. La différence constitue son épargne personnelle et, directement ou indirectement, va grossir le flot des capitaux en quête de placement.

Or, si l’activité économique est grande et les entreprises prospères, cet épargnant va se trouver sollicité par deux forces qui vont toutes deux influencer sa décision dans le même sens: ses recettes vont augmenter et le coût de la vie également, deux raisons d’épargner; encouragements à l’épargne valables pour tous. En période de prospérité, l’argent en quête de placement abonde donc et le taux d’intérêt diminue.

Comme bien l’on pense, une diminution de la consommation ne va pas se manifester sans que cela ne pose à la longue des problèmes du côté de la production qui va devoir modérer sa course. Il existe entre production et consommation un état d’équilibre auquel on ne parvient qu’aux multiples passages d’un mouvement pendulaire. N’entrons pas dans le détail des actions et réactions contraires que déclenchent les variations du taux d’intérêt. Qu’il suffise de retenir qu’un pays n’est prospère que s’il ne consomme pas tout ce qu’il produit, et que l’épargne est nécessaire. L’épargne finance en effet la production des biens d’équipement nécessaires au progrès matériel. Elle soutient toute une activité qui ne produit pas des biens de consommation immédiate mais qui, à la longue facilite la vie, augmente la productivité du travail et, perfectionnant l’outillage, rend en définitive le travail moins pénible.

Tout cela est bien connu. L’épargne rend de grands services à la collectivité. Mais ce que la répartition des profits procure se situe sur le plan social. En donnant à chaque travailleur l’accession à l’épargne individuelle, le partage des profits le libère. C’est la disparition du prolétariat qui est en jeu. Avec son seul travail comme capital de départ, le salarié le moins bien payé se voit réintégré dans la société des hommes; accède à la propriété privée et à tous les avantages que cela procure; il participe au progrès social. Délivré du soin de revendiquer la justice, le nouveau régime de travail en association lui donne la liberté d’esprit nécessaire au développement de toutes ses facultés dans le cadre où le sort l’a placé. Il est prêt à la collaboration dès que le problème essentiel, celui de la justice sociale, aura été abordé, traité en priorité absolue sur tous les autres et finalement résolu. Alors seulement viendront en cause les problèmes d’efficacité. Pendant des années et des années, la bourgeoisie a ricané. « Produisons d’abord, disait-elle, quand il y aura quelque chose à partager, il sera bien temps d’étudier comment se fera le partage. » Les travailleurs n’ont jamais accepté la formule. « Justice d’abord, répondaient-ils, la production sera vite organisée quand un contrat social équitable aura été signé ». Devant la carence des employeurs, il appartient aux travailleurs d’organiser l’ordre social dans le respect de la justice et d’organiser la production ensuite. Il n’est pas question de supprimer la hiérarchie, de contester une autorité légitime, il s’agit de faire des entreprises des cellules sociales efficaces, des assemblées cohérentes de par la communauté profonde des intérêts en jeu, où toutes les questions relatives aux conditions et à la durée du travail seront réglées pour le plus grand bien de tous. Enfin il faut, il est absolument nécessaire que, vis-à-vis de l’État, la communauté d'intérêts ainsi constituée présente un front uni. La toute puissance de l’État, qu’il soit capitaliste ou socialiste, provient de la division en deux camps des citoyens qui originellement tire son existence de la diversité des classes et des situations de fortune. En changeant les règles du jeu économique, on change l’ordre social. En faisant l’union on crée la force et avec cette force neuve, il est possible de transformer des maîtres exigeants en serviteurs dévoués.

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La concorde instaurée au sein des entreprises, une réorganisation des relations extérieures s’impose afin de réaliser un syndicalisme bien charpenté à la base. Syndicats professionnels, interprofessionnels et régionaux pourront, par regroupements successifs, constituer au sommet une assemblée délibérante dont l’autorité sera incontestable. Elle aura à connaître sur le plan national de toute la législation du travail et du commerce. Enfin vis-à-vis de l’État elle représentera valablement le Monde du travail, abolira le dirigisme abusif qui l’asservit. Quant aux finances de l’État, c’est d’une façon fondamentale qu’il sera nécessaire d’en modifier les principes. La fiscalité dans son ensemble doit être reconsidérée et ce sera l’objet du chapitre suivant.