[3. Le loyer de l'argent et part des actionnaires]

L’actionnaire a-t-il dans un tel cas réalisé un bénéfice? Sans connaître le montant du capital social, sans connaître à quel taux se situe le loyer de l’argent, il n’est pas possible de répondre à cette question.

En effet, qu’est-ce qu’un actionnaire ?

C’est un particulier ou une société qui a de l’argent à placer, une somme disponible résultant de l’épargne. Cette somme peut être placée de deux manières différentes; on peut la prêter, on peut aussi la consacrer à l’achat d’un titre de participation dans une entreprise existante ou dans une société en formation.

Dans les deux cas, on attend de cette somme un revenu. S’il s’agit de consentir un prêt, par exemple en achetant une obligation, ce titre produira chaque année un revenu fixe. Si on achète une action le revenu sera variable. Dans les deux cas on court un risque, car d’une année à l’autre le loyer de l’argent peut varier, ce qui fait varier la valeur du titre qui, suivant le cas, s’élève ou diminue. Par exemple si l'épargnant achète une obligation de 1000 F à son prix d’émission, c’est-à-dire à peu de chose près à 1000 F et que ce titre lui rapporte 50 F par an c’est-à-dire 5 %, il se peut que l’année suivante le loyer de l’argent s’élève et que l’on puisse, avec 1 000 F, obtenir un revenu annuel de 60 F; il se peut aussi qu’au contraire, le loyer de l’argent baisse et que les épargnants ne puissent obtenir avec la même somme que 40 F d’intérêt annuel.

Dans le premier cas le titre acheté par l’épargnant l’année précédente perdra de la valeur; ne rapportant que 50 F, il ne pourra être négocié si besoin est qu’à 833,33 F. Dans le cas contraire, un mouvement de hausse de produira sur un titre rapportant 50 F par an et il pourra être négocié à 1 250 F.

Il faut naturellement souligner au passage que ce calcul n’est valable que dans une période où la valeur du franc reste constante. Sinon, tout calcul de ce genre est vain. Prêter de l’argent comporte donc toujours un risque. Celui de voir son capital perdre de sa valeur. Pourtant dans le cas des obligations le risque est bien atténué si leur possesseur n’est pas contraint de réaliser avant terme le portefeuille qu’il s’est constitué. S’il attend l’échéance normale de remboursement de ses titres, il retrouvera intégralement la somme qu’il aura déboursée.

S’il achète des actions, il s’agit d’une opération différente. Son revenu sera variable et pourra éventuellement et, temporairement ou non, être nul. De plus, il n’est pas d’échéance de remboursement sauf si la société dont il a acheté des parts se trouve dissoute. Par conséquent, il s’agit d’une opération plus risquée que la précédente et le souscripteur ne l’entreprendra que si ces risques supplémentaires sont en quelque sorte couverts par l’espoir d’obtenir, bon an mal an, un revenu supérieur à celui de l’obligation et de plus une valorisation progressive de son capital.

Après cette nécessaire entrée en matière, revenons-en au sort d’un actionnaire dont la société a réalisé un profit dont une partie, 6 millions de francs, doit rémunérer le capital, et voyons dans quelles conditions l’actionnaire, lui aussi, réalise un profit pour son compte personnel.

Voyons d’abord le montant du capital social. Si le capital social de la société est de 50 millions de francs, le revenu de 6 millions équivaudra à un revenu annuel de 12 % ; si le capital est de 100 millions de francs, le rendement tombera à 6 %, et il tombera bien plus encore s’il s’agit d’un capital encore supérieur.

Définissons donc le capital de l’entreprise pour y voir plus clair et supposons qu’il s’élève à 50 millions de francs, ce qui, on l’a vu, donne aux actionnaires un revenu de 12 % de la valeur au pair du titre. L’actionnaire donc doit comparer ce rapport avec ce qui lui aurait rapporté un prêt au cours de l'année qui vient de s’écouler. C’est alors qu’intervient cet élément de compte, étranger à l’entreprise : le loyer de l’argent.

Le loyer de l’argent n’est pas un chiffre arbitraire que l’on fixe d’autorité au début de l’année, c’est un taux qui résulte de l’abondance ou de la rareté des fonds disponibles et qui varie donc selon l’offre et la demande. On ne peut donc connaître sa valeur avec certitude qu’après coup, à posteriori. Quand l’année est terminée un cours moyen officiel peut être établi, communiqué à tous par les professionnels et être homologué par les instances supérieures de la finance.

Si au cours de l’année en question, l'intérêt moyen s’est établi à 5 %, l’actionnaire pourra se livrer au calcul suivant :

Si les actions de la société n’avaient rapporté que 5 %, c’est-à-dire le strict loyer de l’argent, les risques courus en possédant des actions aux lieu et place d’obligations n’auraient pas été couverts par un intérêt plus élevé. Par conséquent le bénéfice de l’actionnaire est nul. Ce ne serait que si l’action rapportait plus de 5 % à son possesseur que ce dernier réaliserait un bénéfice. Dans le cas de l’exemple, le capital social de 50 millions va recevoir 6 millions, soit 12 % du capital, le bénéfice réel de l'actionnaire sera donc de (12 — 5) = 7 % et le rendement global du titre peut se décomposer de la façon suivante :

  Intérêt d’argent
  50 millions X  5 % = 2,5 millions de francs
  
  + Bénéfice
  50 millions X  7 % = 3,5 millions de francs
  ————————————————————————————————————————————

  Globalement 
  50 millions X 12 % = 6 millions de francs

Par comparaison, supposons qu’au lieu de 50 millions, le capital social soit de 120 millions, on aurait :

  Intérêt d’argent
  120 millions X 5 % = 6 millions
  
  + Bénéfice
  120 millions X 0 % = 0 million
  ———————————————————————————————

  Globalement
  120 millions X 5 % = 6 millions

Dans le premier cas l’actionnaixe verrait la valeur de son titre grimper ; dans le second cas il la verrait plus ou moins se maintenir; et au cas où son titre lui rapporterait un intérêt inférieur à 5 %, il verrait évidemment sa valeur baisser en proportion; il serait donc en perte.

En conclusion, le bénéfice de l’actionnaire ne commence qu’à partir du moment où sa part dépasse 2,5 millions. Par conséquent, le patron n’a pas réalisé 10 millions de bénéfice mais seulement 7,5 millions. Il faut donc recalculer le partage du profit. D’autant que du côté du travail la position doit également être réexaminée.

--

Cette position est très simple car le loyer de l’argent est un élément de calcul qui a autant d’influence sur la valeur du salaire que sur le calcul de rendement des titres. Pour la bonne raison que le coût de la vie est directement influencé par le taux d’intérêt. Le pouvoir d’achat du salaire varie en fonction de ce taux. Les coûts de production augmentent quand l’argent est cher; ils diminuent quand l’argent se prête à un faible taux d’intérêt. Et les prix de vente en subissent les conséquences. De ce fait, il est nécessaire que les salaires soient indexés et très précisément en fonction du loyer de l’argent. Pour les salariés comme pour l’actionnaire le bénéfice ne commence qu’à partir du moment où les charges financières se trouvent épongées.